ENTRETIEN AVEC TRISTAN BOURGET

Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !

Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.

Bonjour Tristan et merci de nous consacrer un peu de votre temps. La première question est volontairement très très large. Quel musicien êtes-vous devenu ?

C’est une bonne question mais difficile ! J’ai envie de vous répondre en mêlant le musicien et l’individu : l’un ne va pas sans l’autre ! Je suis violoncelliste, enseignant et j’essaie, avec cette pratique, de transmettre, d’être généreux, de motiver et de donner du plaisir… C’est très important pour moi car je veux jouer toute ma vie avec envie.

Jouer et enseigner se nourrissent mutuellement. C’est dommage d’enseigner sans jouer mais c’est dommage de jouer sans enseigner aussi. L’enseignement permet de prendre du recul sur ce qu’on fait. En verbalisant, dans la transmission, on comprend certaines notions. Même si on a un très bon niveau, l’enseignement permet de se remettre en question.

J’ai fait un concert récemment et ce que les gens m’ont dit après le concert c’est : « quand vous jouez, on sent une sensibilité, un acte de générosité ». C’est ce que je mets au premier plan quand je joue, la sensibilité. Je ne cherche pas la perfection… Quelquefois il y a des accidents mais je trouve que cela fait partie du jeu. Je préfère écouter un enregistrement avec quelques erreurs, qui ne sont pas des erreurs en soi, mais plutôt des prises de risque, plutôt qu’une version parfaite mais froide.

C’est aussi ce que je dis aux élèves. Il faut viser la perfection mais il faut surtout prendre du plaisir et faire en sorte que le public sente qu’on a envie de jouer pour lui.

Aujourd’hui je monte mes propres programmes, ce que j’apprécie beaucoup. J’ai plus de liberté.

Vous avez donc une pratique artistique développée ?

Oui, j’ai une pratique d’enseignant et d’interprète.

Je joue dans des formations variées, avec des gens différents, même si j’aime aussi jouer avec les mêmes personnes. C’est ce que je recherche actuellement, un (ou une) pianiste régulier. Ce n’est pas facile de trouver quelqu’un de disponible pour jouer en concert régulièrement, mais c’est important pour développer une identité sonore et humaine.

Je joue également dans les hôpitaux car je trouve très important de redonner le sourire à des patients en situation difficile. J’essaie aussi de faire découvrir le plus possible la musique aux enfants.

Pouvez-vous nous faire un tour d’horizon de votre activité ? Enseignement et projets artistiques ?

Je travaille au sein de plusieurs conservatoires : j’ai des élèves violoncellistes, je dirige des orchestres symphoniques et j’enseigne également la formation musicale. Je donne aussi des cours particuliers.

Pour ce qui est des concerts, je joue régulièrement avec piano. Juste après ma sortie du Pôle Sup’93, j’ai cherché des salles pour jouer, c’était très difficile et très cher ! Maintenant, je joue régulièrement dans des salles que je connais bien. Je connais 4 ou 5 salles dans lesquelles je tourne. Après, ce qui est difficile aussi, c’est de fidéliser le public. Amener du monde régulièrement, surtout quand les dates sont proches. Maintenant ça va, ça fonctionne mais c’est toujours délicat. J’ai également appris à faire un site, j’ai compris la nécessité de se mettre en avant, de s’afficher sur les réseaux même si c’est quelque chose que je n’aime pas particulièrement. Je publie mes concerts, mes vidéos sur les plateformes pour montrer mon activité.

J’ai également intégré un ensemble à la Cité Universitaire, l’ensemble Dynamique, qui est un ensemble contemporain, avec une dizaine de musiciens, vents, cordes, piano. Il y a beaucoup de projets à venir. On a réalisé un teaser pour assurer la promotion de l’ensemble et trouver des mécènes. Pour le moment ce n’est pas rémunéré mais le but c’est de pouvoir donner des concerts avec des cachets.

Je fais également partie d’un ensemble qui s’appelle Acceso, « la flamme » en italien. On joue plutôt un répertoire baroque mais sur instruments récents et on peut jouer d’autres répertoires. Pour le moment, on répète à la Philharmonie.

Enfin, je fais aussi partie d’un orchestre, le Wint Orchestra qui a été à l’arrêt à cause du virus mais qui reprend avec un programme Mozart.

Quel est votre parcours depuis le Pôle ?

Je suis rentré au Conservatoire de Gennevilliers parce que je voulais travailler avec Emmanuelle Bertrand. J’ai davantage choisi la personne que la formation. C’est une violoncelliste que j’adore et c’est son type de son que je recherchais. J’ai donc choisi de travailler trois ans avec elle. Cette année j’ai arrêté les cours pour devenir professionnel.

J’ai aussi passé le concours d’entrée au CA au CNSMD de Paris, j’ai été reçu aux deux premiers tours mais pas au dernier. Je n’ai pas tellement passé de concours (il n’y en a pas beaucoup en violoncelle), j’ai passé des entretiens pour des postes de professeurs et j’ai surtout cherché à jouer, à rencontrer des gens.

J’ai fait des projets à Gennevilliers, des sessions d’orchestre avec des pièces orchestrées par la classe d’orchestration du conservatoire. J’ai aussi fait des projets avec l’ancien directeur du conservatoire de Saint-Maur, Olivier Kaspar, compositeur et chef d’orchestre, pour un CD.

J’ai enregistré un conte musical sur la déforestation, réalisé par le professeur de batterie de Gennevilliers, Richard Cailleux, qui s’appelle « Plumes, poils, écailles »

Ce que j’aimerais faire maintenant c’est créer un festival.

Idéalement, vous savez dans quel endroit vous voudriez faire ce festival ? Avec quel projet, quel programme, quel répertoire ?

Je pense à un festival dans le Val-de-Marne (parce qu’il y en a peu) qui durerait trois ou quatre jours, pour inviter des musiciens peu connus. Je trouve qu’on voit toujours un peu les mêmes musiciens et les mêmes programmes. J’aimerais voir ces musiciens qui sont éclipsés ! Je sais de quoi je parle parce que, quand je suis sorti du Pôle, beaucoup de salles ont refusé mes propositions parce que je ne sortais pas du CNSMD de Paris ! J’ai pris une claque.  C’est à ce moment-là que j’ai construit mon site internet, que j’ai commencé à me faire connaître, que j’ai utilisé les réseaux, etc. Maintenant ça va, je joue avec des musiciens sortis du CNSMDP, de l’Ecole normale… J’ai envie de montrer que ce n’est pas parce qu’on n’est pas allé au CNSMDP qu’on est un mauvais musicien ! Je trouve qu’il y a encore une mentalité un peu douteuse, c’est un cercle vicieux… Les salles, les festivals, ne veulent pas prendre le risque d’engager des musiciens peu connus.

Bref ce que j’aimerais faire, c’est aider ces musiciens - pas seulement classiques d’ailleurs - à jouer. C’est ce qui m’est arrivé à Bry-sur-Marne : le directeur m’a fait confiance et j’ai vraiment apprécié.

C’est un milieu redoutable. Je n’imaginais pas à quel point ce serait difficile. Il y a beaucoup de très bons musiciens et il faut arriver à se démarquer. Je pense qu’il ne faut pas se comparer aux autres, il faut faire avec ses propres moyens, ses atouts, sans orgueil… Et avant tout être généreux et aider !

Qu’est-ce que vous avez appris au Pôle Sup’93, quelles sont les choses que vous avez pu approfondir… Qu’est-ce que le Pôle vous a apporté ?

Ce que j’ai aimé, c’est l’apport théorique, comme les textes pédagogiques pour le DE. Et toutes ces disciplines variées au sein du cursus de DNSPM : ciné-concert, technique Alexander, yoga… c’est vraiment intéressant. Avec Florian Lauridon, mon professeur de violoncelle au Pôle, on a beaucoup parlé de la respiration, la préparation mentale, d’être ancré… des choses qu’on apprend malheureusement souvent un peu tardivement dans la musique.

Actuellement, j’essaie de faire régulièrement de la méditation. J’ai suivi une conférence proposée par ProQuartet avec Laurence Thomas, qui est une spécialiste de la méditation pleine conscience pour comprendre l’importance dans sa pratique de la musique, mais aussi dans la vie, de se poser, de profiter de l’instant. C’est vraiment au Pôle Sup’93 que j’ai découvert l’importance du corps. Même si on est très bon musicien, si le corps est tendu, si mentalement on est faible, on ne peut pas bien jouer. J’essaie de le transmettre à mes élèves, et ce dès le plus jeune âge car moi j’ai appris ça très tard. Pourtant on joue avec son corps, le violoncelle en est une prolongation, comme l’archet est une prolongation du bras.

Ce que j’ai beaucoup apprécié aussi c’est qu’on puisse suivre les cours d’autres cursus. J’ai fait un semestre avec Vincent Segal, en jazz et c’était vraiment très bien. D’ailleurs après le Pôle Sup’93 j’ai fait des ensembles un peu rock et j’aimerais bien en refaire, j’ai aussi un violoncelle électrique.

Quel est votre souvenir le plus marquant du Pôle ?

Ma licence, le Récital de fin de cursus. C’était un beau moment, j’avais bien joué, j’étais content. J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer. J’ai été un grand « traqueur », il m’est arrivé d’avoir vraiment un trac furieux. Comme je suis quelqu’un d’assez sensible, j’avais peur du regard des autres et c’est aussi pour ça que j’ai fait de la musique. J’ai cherché des méthodes pour arriver à jouer de façon plus sereine et ç’a été le cas pour la licence, j’étais à l’aise. Actuellement ça va beaucoup mieux, je pense que la méditation m’aide beaucoup. Je ne voulais pas prendre de médicaments, des bêtabloquants… Sinon il y a eu aussi de très beaux moments de musique de chambre. Et enfin, la découverte de la MAO. Je continue à en faire et à Gennevilliers, j’ai suivi des cours de son. Je continue à pratiquer pour moi, pour mes élèves, j’enregistre, je fais des arrangements, j’écris des chansons.

Qu’est-ce que vous diriez aux jeunes qui se demandent pourquoi rejoindre le Pôle Sup’93 ?

C’est une belle formation, c’est un bon établissement, avec de bons professeurs, des gens compétents, des gens généreux. On m’a beaucoup donné, avec bienveillance. J’ai beaucoup appris, humainement aussi bien que musicalement. Il n’y a pas de compétition, on s’entraide. C’est un lieu où s’épanouir. Ce sont de belles années ! Sur le plan du violoncelle, j’ai beaucoup évolué. Florian Lauridon est très compétent, ainsi que les autres professeurs.

Cependant, la formation est très théorique et ne prépare pas suffisamment à la vie professionnelle d’un musicien. Il faudrait davantage jouer devant un public et avoir éventuellement un cursus qui nous apprend à créer un site, utiliser les réseaux, rédiger un CV et une lettre de motivation *

* Ces cours ont, depuis, été mis en place au Pôle Sup'93

REtrouvez Tristan Bourget - https://tristanbourget

Diplômé du Pôle Sup'93 - DNSPM en 2018, DE en 2018
Musiques classiques à contemporaines,violoncelle