ENTRETIEN AVEC SHAO WEI CHOU

Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !

Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.

Nous avons plusieurs questions, mais nous commençons par une question très générale. Quelle musicienne êtes-vous devenue ?

Quand je suis arrivée au Pôle Sup’93, j’avais déjà une idée précise de ce que je voulais faire. Je savais ce que j’avais envie de jouer sur scène : des musiques de création, voire de la musique expérimentale. J’ai pu travailler les répertoires contemporains au Pôle avec Sophie Deshayes et Isabelle Grandet et j’ai suivi les cours d’improvisation de Philippe Pannier, qui m’ont beaucoup fait évoluer. Je n’avais jamais eu de cours comme ça avant, c’était très perturbant mais cela m’a permis de me dépasser.

Aujourd’hui j’ai un trio avec Lola Malique, violoncelliste, qui était dans ma promotion au Pôle sup’93 et une accordéoniste, Fanny Vicens. Au départ, c’est un ensemble que nous avons créé quand nous étions étudiants au Pôle « 20 degrés dans le noir ». Après nos études, certains sont partis : Dali Feng à l’orchestre de Marseille, Florentin Ginot en Allemagne… C’est une longue histoire… Aujourd’hui, nous sommes un trio !

Je joue aussi avec un ensemble plus expérimental qui s’appelle soundinitiative. Nous sommes 9 musiciens avec des profils différents… Moi, par exemple, je ne bénéficie pas du régime de l’intermittence car mon travail principal, c’est l’enseignement : je suis professeure au Conservatoire de Gennevilliers.

Avec soundinitiative, on fait beaucoup de projets interdisciplinaires : on joue de la musique écrite et nous faisons aussi l’improvisation. On travaille avec des chorégraphes…. On essaie de mélanger la musique et les mouvements, on fait des performances gestuelles … ou des choses bizarres !!!!

Pour mon projet personnel de sortie du Pôle Sup’93, j’avais justement travaillé avec une danseuse. Après, j’ai continué à réfléchir aux mouvements que je fais quand je joue de la flûte. Je correspondais donc bien à ce que soundinitiative recherchait.

Quelles sont vos autres activités ?

Je joue parfois avec l’Ensemble C barré, qui est un ensemble contemporain de Marseille.

En ce moment, je prépare mon album qui va sortir en fin d’année ou en début d’année prochaine. Je collabore avec un écrivain / conteur taïwanais Yu-Chiao Yang, un photographe Yves-Vincent Davroux et compositeur Colin Roche. Colin Roche est mon co-directeur artistique pour ce projet. Il a créé « La Chambre » dédié aux projets discographiques expérimentaux sous le label de Bruno Letort « SOOND». Avec Colin, nous avons déjà travaillé ensemble pour « La Fabrique », son album sorti en juillet 2020 où j’ai enregistré 2 œuvres de lui, une pour piccolo, et l’autre pour flûte basse (Lola Malique a aussi joué dans cet album). Colin me soutient pour mon projet d’album. Je vais enregistrer des œuvres pour solo de Rebecca Saunders, Salvatore Sciarrino et Claire-Mélanie Sinnhuber, une pièce mixte pour 3 flûtes de Luc Ferrari. Il y aura aussi une pièce de Colin Roche mais pour voix que je vais enregistrer avec Colin et le conteur. Il y aura « Origami » de Klaus Lang interprété par « 20° dans le noir » et une création pour flûte et guzheng (instrument traditionnel chinois) composée par Mu-Xuan Lin, compositrice taïwanaise basée en Californie.

Pendant et après le Pôle, j’ai fait beaucoup de stages, principalement sur les répertoires contemporains. J’ai participé à l’académie Impuls, à IEMA avec Florentin Ginot, une académie où on joue avec l’Ensemble Modern, Darmstadt aussi…

J’ai pris 6 mois de plus pour terminer mon mémoire de DE et tout de suite après j’ai pris mon poste à Gennevilliers. À l’époque le directeur était Bernard Cavanna.

Cette année-là j’avais été sélectionnée par le Festival Mixture, festival contemporain à Barcelone où je jouais un programme solo. Il se trouve que le compositeur José Manuel López López  (qui est professeur à Paris 8 et à Gennevilliers) était là aussi. Il m’a écrit une lettre de recommandation pour le conservatoire ! Au début c’était juste quelques heures : on était deux nouvelles professeures et nous partagions un poste mais maintenant ça devient un vrai poste.

J’ai eu une aide pour un déplacement international de la SACEM et j’ai fait une tournée solo en Californie en avril 2019. J’ai joué au CNMAT de Berkeley, l’université de Stanford (ainsi que des workshops avec les étudiants compositeurs) et dans la résidence artistique Villa Aurora de Los Angeles. J’ai également donné des cours au CalArt et une présentation avec le compositeur Davor Vincze au Cal Poly Pomona…

Enfin quand je rentre à Taïwan, je fais des concerts avec d’autres flutistes : solo, duo, trio, quatuor…

Qu’est-ce que le Pôle Sup’93 vous a apporté, en tant qu’artiste ?

Une ouverture à la création et à l’improvisation ! Et aussi la possibilité de faire des projets interdisciplinaires. Pour moi les cours à Paris 8 étaient ultra difficile. Beaucoup de français, beaucoup d'écrits pour moi qui ne suis pas française. Beaucoup d'examens aussi… Tous les cours où on parlait de méthodologie, d’art, de philosophie. C’était très compliqué mais ça m’a beaucoup enrichie. Platon par exemple ! (rires) Ça m’a incitée à lire en français !

Ce qui était très bien aussi, c’est qu’on se croisait souvent entre camarades, ça crée un cercle assez important et permet de développer des projets quand on est sortis du Pôle.

Parlez-nous des rencontres que vous avez faites au Pôle Sup’93, des camarades, des professeurs…

Il y a Lola (Malique, violoncelliste) … on travaille beaucoup ensemble, on se voit souvent et on est amies.

À Gennevilliers, nous avons souvent des projets de musique baroque, je n’en fais pas partie mais j’essaie d’y envoyer mes élèves… C’est à cette occasion que j’ai croisé Clément Latour et Umbaja Majstorovic (anciens étudiants du Pôle Sup’93, guitariste et hautboïste)

Avec Florentin Ginot (contrebassiste) on se voit aussi régulièrement, c’est vraiment devenu un ami. On ne joue pas ensemble mais on discute beaucoup. En Allemagne, ils ont un répertoire contemporain qui, jusqu’à récemment, n’était pas très joué en France. J’ai découvert du répertoire que je ne connaissais pas.

Qu’est-ce que le Pôle vous a apporté ?

Il y avait tellement de cours ! On passait notre temps dans les transports : Saint-Denis, Aubervilliers, La Courneuve… Mais je trouvais quand même quelques heures pour travailler la flûte. Je ne sais pas comment on arrivait à faire tout ça… Il fallait trouver le temps de travailler et on y arrivait : on était trop forts !

Avec Sophie Deshayes, j’ai pu vraiment travailler ce dont j’avais envie, c’est-à-dire des répertoires contemporains. Sophie incite ses élèves à faire des recherches sur les contextes historiques, sur l’interprétation, etc. Elle-même connait très bien l’histoire de la musique et des arts. Avec elle, ce n’est pas que ma technique qui a évoluée mais tout : la recherche d’une pensée, la façon de travailler une pièce, la conception et le travail du son, la place du corps… Moi je suis très têtue, je ne suis pas une bonne élève ! On se disputait souvent et je faisais la tête ! (Rires).

Aujourd’hui, elle nous invite quand elle organise une masterclass. On est un petit groupe de flûtistes à y assister. L’année dernière, elle m’a envoyé une élève : je vois ce que Sophie lui dit, quelles consignes elle lui donne… Après on échange et c’est très intéressant pédagogiquement.

Le parcours DE du Pôle est aussi vraiment intéressant. Ça permet une réflexion sur la pédagogie qui m’aide beaucoup aujourd’hui.

Quel serait votre souvenir le plus marquant du Pôle Sup’93 ?

Notre concert Pierrot lunaire de Schönberg que nous avons joué avec les circassiens de l’École nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois. Je n’avais jamais joué avec des circassiens… quand j’ai vu ce qu’ils faisaient : c’était incroyable ! Et cette œuvre, Pierrot lunaire, extraordinaire ! La partie de flûte n’est pas facile - c’est un challenge. Et puis se voir tous les jours, dans ce lieu, le chapiteau de l’ENACR, avec les amis Alice, Gaël, Célia… C’était la fête tous les jours ! On ne travaillait pas directement avec les circassiens, chacun était dans sa bulle, mais juste les voir était intéressant. Leur travail est tellement différent, c’était vraiment surprenant, ça a changé ma vision du cirque. Avant, c’était plutôt les lions… et c’est devenu le mouvement ! Tous les Pôles ne travaillent pas  avec l’ENACR ou l’Académie Fratellini.

Il y a beaucoup d’autres choses qui m’ont plu : le projet personnel, la liberté qu’on a eue, le fait de jouer au Théâtre de la Commune… Ce projet au Théâtre d’Aubervilliers, c’était fou. L’équipe nous accompagnait. Je me souviens de Philippe Pannier qui était venu avec toutes les cartes de couleur pour que je choisisse mes lumières !

Suite à ce projet, j’ai créé une autre pièce avec la même danseuse et deux compositeurs qui étaient dans la classe de composition au CRR 93 que l’on peut voir ici :  http://shaoweichou.com/escarxofffes/ . Pour ce spectacle, nous avons eu deux subventions de Taïwan et de la ville Figueres (Catalogne). 

Alors, pour vous, pourquoi le Pôle Sup’93 serait-il un très bon choix pour des étudiants ?

À l’époque, j’ai choisi le Pôle Sup’93 du fait de l’absence de limite d’âge contrairement aux autres concours d’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur ! Mais c’est très bien tombé finalement.

Je suis venue en France après le lycée, puis j’ai fait l’école normale de musique – A. Cortot et le CRR de Paris où j’ai obtenu mon DEM. Mais le DEM est un diplôme de niveau BAC, mes parents ne comprenaient pas que je sois depuis quelques années en France à faire des études et que j’en sois toujours au BAC ! Au Pôle j’ai été très contente d’étudier autre chose que l’instrument, ça permet d’aller plus loin. Le choix de cours Paris 8 était très large. C’était dur, mais j’en garde de très bons souvenirs.

Je rencontre aujourd’hui des élèves en 3e cycle qui ne veulent faire que le CNSMD. C’est dommage. C’est bien qu’il y ait les Pôles qui proposent d’autres enseignements. De plus, des étudiants du Pôle rentrent en Master au CNSMD. Ceux qui font les Pôles ne sont pas des nuls ! (rires). Une fois qu’on joue dans des ensembles, on ne parle plus de l’endroit d’où on vient. En revanche, c’est encore présent dans les conservatoires. Et c’est un peu compliqué d’expliquer aux étudiants de nationalité étrangère que j’ai fait mes études au « Pôle Sup’ » ! 

Aujourd’hui, j’encourage les étudiants taïwanais à venir faire leurs études au Pôle Sup’93, car il y a de très bons professeurs, c’est un cursus très riche !

Retrouvez Sho Wei Chou -  http://shaoweichou.com
Soundinitiative - http://soundinitiative.fr
20° dans le noir : https://ensemble20degres.shaoweichou.com/

crédit photo : Mélanie Wojylac

Diplômée du Pôle Sup'93 - DNSPM en 2013, DE en 2015
Musiques classiques à contemporaines, flûte traversière