ENTRETIEN AVEC FLORENTIN GINOT

Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !

Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.

Florentin, comment êtes-vous entré au Pôle Sup’93 et vers quoi vous a-t-il mené ?

J’étais au Pôle Sup’93 en 2009, je fais donc partie de la 1e promotion. J’ai intégré le Pôle en étant en première au lycée, ce qui était particulier. J’ai fini la licence un an après le Bac puis j’ai intégré le CNSMD de Paris. J’ai validé beaucoup de matière par équivalences, mon parcours est atypique !

J’ai toujours aimé le théâtre et la danse. J’y suis allé très tôt, car mes parents ne sont pas musiciens mais aiment le théâtre. J’ai donc fait mon projet personnel de fin de DNSPM pour le Pôle au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers avec Pauline et Jeanne, circassiennes à Fratellini que j’avais rencontrées et avec Lola Malique, musicienne au Pôle. Il y avait aussi deux commandes passées aux classes de composition. Le projet, qui s’appelait Quadrisse des sons avait donc plusieurs aspects : composition, pluridisciplinarité, création collective et jeu à la contrebasse. Nous l’avons même rejoué plus tard. Ce projet personnel de fin d’études, donné au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, était une vraie chance pour nous.

Quel a été votre parcours depuis la sortie du Pôle Sup’93 jusqu’à vos activités actuelles ?

À la suite du Pôle, j’ai fait un Master au CNSMD de Paris, puis j’ai été pris la même année à l’ensemble Musikfabrik de Cologne qui œuvre pour la musique contemporaine, la création, le spectacle. J’en suis devenu le contrebassiste. J’ai donc eu, à 21 ans, ma vie séparée entre la France et l’Allemagne.

Je ne me rappelle plus exactement à quel moment je suis devenu intermittent, mais il est important de connaitre les statuts professionnels qui sont possibles pour les musiciens. Nous en parlions avec les circassiens de l’Académie Fratellini, eux qui sont en apprentissage dans l’école (contrairement aux musiciens qui sont étudiants). Quand ils sortent, ils bénéficient tout de suite du régime de l’intermittence. La musique fonctionne différemment. On « cachetonne » beaucoup (en faisant des concerts rémunérés par des cachets qui serviront à ouvrir des droits à l’intermittence), on construit un réseau comme un puzzle.

Deux ans après être rentré à Musikfabrik, j’ai fondé ma propre compagnie HowNow pour compléter ce que je ne trouvais pas à Musikfabrik, c’est à dire créer mes propres projets : des spectacles scéniques à partir des musiques de création. À Musikfabrik on reste interprète avant tout, même s’il y a une partie de créativité et d’improvisation. Je fais également du solo, de la musique plus simple et plus directe.

Y a-t-il d’autres éléments marquants de ce parcours de la fin du Pôle Sup’93 jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai gardé beaucoup de contacts du Pôle Sup’93, notamment ceux avec qui on avait fondé un ensemble de musique contemporaine « 20 degrés dans le noir ». Une chose importante que j’ai retenue du Pôle, c’est «  faire » et après on voit ce que ça devient. Quand je suis arrivé au CNSMD c’est la première chose que j’ai faite : monter un spectacle avec les classes de danse, les saxophonistes, les classes d’électro et de composition. Et je garde toujours ça aujourd’hui : y aller, essayer, éventuellement se rater...  Quand l’étudiant est en confiance, même le plantage se transforme en quelque chose d’autre. C’est ce qui se faisait au Pôle : laisser la liberté aux jeunes d’essayer.

Qu’est-ce que le Pôle Sup’93 vous a apporté ?

Tel que je l’ai vécu – c’est-à-dire avec mon parcours particulier – le Pôle m’a invité à croire en la richesse des approches. C’est beaucoup grâce à Jean-Christophe Deleforge, mon professeur (qui m’a fait commencer l’improvisation à 11 ans : une chose folle dont je ne reviens toujours pas). Pour lui, l’instrument est un moyen et pas une fin. Je prends cela très à cœur, et cela se voit dans mon parcours. J’essaie de garder cette ouverture et de la transformer en vecteur de progression, plutôt qu’en division. Ce n’est pas facile de gérer plein de choses qui ne sont pas que de l’instrument, pas que de la musique (ne serait-ce qu’en termes de planning). Il faut continuer à y croire, même dans l’adversité.

Ce que je retiens du Pôle aussi, ce sont les rencontres. Beaucoup de personnes que j’y ai rencontrées me sont toujours très proches… Frédéric Stochl côté professeurs, et côté étudiants : Lola Malique, Maxime, Shao Wei Chou… ce sont des gens avec qui j’ai continué de faire de la musique, 8 ou 10 ans après le Pôle, voire encore aujourd’hui.

C’est la différence d’une institution qui se base sur un esprit de promo : la première année, nous étions 14 ! J’ai vécu au moins deux ans ou nous étions chouchoutés, aux petits oignons. Et on avait même la voix au chapitre. Ces premières années, tout était tellement « à faire » au Pôle, que nous, étudiants, nous avions vraiment l’impression de faire partie de quelque chose et que notre voix comptait.

C’est aussi ce qui s’est passé à Musikfabrik. J’y suis arrivé à 21 ans et des gens qui avaient 30 ans de métier derrière eux m’ont dit « vas-y, propose, tu as carte blanche ». Ce n’est pas partout qu’on trouve cette confiance-là.

Avec le Pôle j’ai vraiment découvert cette notion d’autonomie mais aussi de ne pas hésiter, d’aller toquer à toutes les portes, aux classes de MAO (musique assistée par ordinateur), à l’Académie Fratellini, etc.

Quel musicien êtes-vous ainsi devenu pendant et suite à votre parcours au Pôle ?

Le musicien que je suis devenu est donc pluriel : je crée des spectacles, je suis contrebassiste, directeur de compagnie et musicien. Comme j’ai été aussi au comité artistique de l’ensemble Musikfabrik pendant trois ans, j’ai fait en plus un travail de programmation et de recherche de jeunes compositeurs.

Le métier de musicien a donc plein de significations pour moi. Il englobe aussi d’autres choses que la musique : de la danse, du théâtre, du cirque. Le cirque, a d’ailleurs commencé au Pôle Sup’93 avec l’Académie Fratellini. Je me rappelle de plein de choses mais particulièrement du Projet personnel que j’avais monté, avec deux danseuses et qui m’a donné envie de faire du spectacle. Ça a été le déclencheur. Je ne travaille plus avec le cirque, mais c’est donc au Pôle qu’a pris forme mon travail global (pas uniquement de musicien, pas uniquement d’interprète).

Pouvez-vous nous décrire les différentes activités artistiques que vous menez désormais des deux côtés du Rhin ?

Pour commencer par ma moitié de vie allemande, Musikfabrik est un collectif de 15 musiciens, dirigé par les musiciens.  En Allemagne les statuts sont un peu différents donc on peut être en charge de l’association. On décide de tout ensemble. Il y a énormément de réunions, à la fois sur la ligne artistique, les programmations mais aussi sur le fonctionnement, l’organisation, la manière de répéter, qui nous dirige, qui chante avec nous, etc. En entrant à Musikfabrik, je suis tombé dans la science du collectif à l’allemande. Nous sommes investis à tous les échelons du processus. Or, quand on sait pourquoi on joue une pièce, on sait comment la défendre !

En France, j’ai ma compagnie (dont je suis le directeur artistique). Nous travaillons actuellement sur trois créations pour l’an prochain, des créations qui sont des spectacles pluridisciplinaires : musique, danse et arts visuels, avec de la scénographie et de la lumière.

Pouvez-vous nous racontez les débuts de votre compagnie ?

Le premier projet de la compagnie était pour un spectacle de Yoann Bourgeois, avec la violoncelliste Lola Malique qui était également au Pôle Sup’93. Il nous avait commandé la musique d’un spectacle qui s’appelle « La mécanique de l’histoire » donné au Panthéon en 2017. Un grand "bazar" avec quatre musiques simultanées aux quatre coins du Panthéon, avec aussi quatre groupes de public ! C’était un défi musical : composer quatre musiques qui devaient être vécues séparément et être écoutées simultanément dans un espace avec une réverbération de 12 secondes. Les 4 groupes de public devaient pouvoir passer d’une scène à l’autre, sans se gêner. Aujourd’hui, nous ne referions plus cela, la compagnie porte d’ailleurs ses propres projets et ne répond plus aux commandes.

Ma compagnie est à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Je travaille sur plusieurs créations pour l’année prochaine. La première se fait avec Kamilya Jubran (oudiste et chanteuse palestinienne) ainsi que deux danseuses. Nous créons la musique ensemble.

Les deux autres créations intègrent la danse avec la chorégraphe Soa Ratsifandrihana, danseuse d’Anne Teresa De Keersmaeker  et qui habite Bruxelles.

Le  plus grand de nos projets sera créé à Lyon en mars 2022 avec Helge Sten, un artiste norvégien qui fait de l’électro ambiant. C’est un spectacle avec trois danseuses et une scénographie imposante.

Enfin notre dernier projet pour 2021/2022, intitulé Zig Bang, se fera avec Georges Aperghis, Valérie Dréville et Juliet Fraser à la Philharmonie de Paris le 1er juin 2022.

Ces trois projets sont très différents dans leurs styles musicaux, mais ils se retrouvent dans l’exploration musicale avec tout ce qu’elle a de plus riche aujourd’hui.

Je continue également mes projets à la contrebasse : j’enregistre un disque Bach / Biber, pour enrichir le répertoire, qui sort chez NoMadMusic au premier trimestre 2022.

Si vous aviez un seul souvenir du Pole Sup’93, quel serait-il ?

La soirée au Théâtre de la Commune !

Que diriez-vous à un musicien qui aurait envie de se présenter au Pôle Sup’93 ou qui s’interrogerait ?

Je n’ai pas en tête le cursus du Pôle actuel donc c’est un peu compliqué de répondre. Ceci dit, quand Jean-Christophe Deleforge m’envoie des élèves qui se posent des questions, je leur fais la même réponse : allez au Pôle pour l’ouverture qu’on y trouve ! Pour moi, être musicien aujourd’hui, c’est beaucoup plus de possibilités que juste l’orchestre. Et pourtant, je suis contrebassiste, l’orchestre est mon métier de base. Il y a tellement de projets dans lesquels on peut s’éclater et il y a tellement peu de places en orchestre (et, en plus, de moins en moins d’orchestres) ! Il y a d’autres moyens de se réaliser, et de réaliser les choses dont on a envie.

 C’est ce que j’ai trouvé au Pôle Sup’93. Essayer, faire le tri ensuite, rencontrer des gens qui ont d’autres discours, qui travaillent dans d’autres esthétiques ou d’autres disciplines… et même en contrebasse : improvisation, jazz, Joëlle Léandre, Claude Tchamitchian, Frédéric Stochl… Découvrir, intégrer, avoir la liberté de choisir. Ça, c’est une vraie force du Pôle Sup’93… Pour moi, c’est la notion de friche. C’est-à-dire d’arriver, bâtir sans nécessairement essayer de s’insérer. Ne pas faire ce vers quoi on nous oriente si on n’en a pas envie.

Ce qui est important au Pôle Sup’93, c’est aussi le 93. Ça fait sens, travailler sur tous ces « à côté », cette énergie qui est très spécifique à ce territoire… C’est une chose à laquelle on est confronté quand on vient au Pôle. C’est dur, souvent, mais c’est une vraie force. C’est tout sauf un tunnel.

Je repense au projet Gesicht – sur lequel je suis intervenu – où les étudiants ont été impressionnants de mise en danger, de créativité… Tout ça, c’est unique !

Diplômé du Pôle Sup'93 - DNSPM en 2012
Musiques classiques à contemporaines, contrebasse