ENTRETIEN AVEC DAVID HURPEAU
Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !
Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.
Ça fait vraiment plaisir de se retrouver ! David, Quel musicien êtes-vous devenu ?
Ma principale activité artistique aujourd’hui, c’est la direction d’orchestre, la direction d’ensembles. Je suis professeur à Saint-Dié-des-Vosges, j’y dirige les deux orchestres de la ville et j’assure également la coordination des « Orchestres à l’école ». Ces deux ensembles, l’Orchestre Symphonique et l’Orchestre d’Harmonie de Saint-Dié-des-Vosges, sont des ensembles très originaux car ils regroupent à la fois des élèves du conservatoire, des musiciens amateurs et des enseignants. La forme associative de ces ensembles est intéressante, car elle nous permet d’aller chercher des financements, de nouer des partenariats intéressants, etc. Mes missions consistent en « face à face » pédagogique avec les musiciens, mais aussi de la direction artistique, de la création, de la programmation, des commandse d’œuvres, de la recherche de partenariats… Notre association est conventionnée avec le département, avec la communauté d’agglo, etc. C’est un dispositif assez complet.
Parallèlement, j’assure également une activité d’enseignant à l’Université de Mulhouse où je donne des cours de « conception, gestion et financement des projets culturels », ainsi qu’une activité d’artistique, avec la direction musicale de l’Ensemble SIL, un ensemble instrumental à géométrie variable qui réalise des projets transdisciplinaires avec beaucoup de créations, l’Orchestre Aquilon qui réunit des musiciens de la Région Grand Est et le Dodécabone qui est un ensemble de 12 trombonistes. Nous menons des projets avec plusieurs grandes orientations : des projets qui mêlent patrimoine et musique (on investit des abbayes, des cathédrales et on travaille beaucoup sur les phénomènes de spatialisation sonore), des projets de création et des projets à destination du jeune public (avec la participation active de jeunes au sein des spectacles).
Cela reflète les trois axes que je développe dans mes activités artistiques, avec :
- l’interprétation des œuvres du répertoire, avec une interprétation la plus « historiquement informée »
- les projets transdisciplinaires qui mêlent des genres et des esthétiques différents
- les projets de création. Je crois beaucoup en la musique de notre temps, qui peut nous toucher profondément car elle évoque des problématiques liées à notre époque, ainsi qu’à la richesse des propositions musicales des musiques contemporaines : je sollicite un grand nombre de commandes à des compositeurs dont les derniers sont Thierry Pécou, Olivier Calmel et Pierre Thilloy..
David comment vous en êtes arrivé là ? Depuis le moment où vous avez été diplômé en guitare.
Le dernier projet* (projet personnel de fin de DNSPM 3 qui était réalisé au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers) que j’ai réalisé en fin d’année au Pôle s’intitulait De Mikawa.à Shimosa. C’était un projet transdisciplinaire, présentant à la fois des œuvres d’arts plastiques qui étaient exposées sous la forme de 12 paravents en toile peinte, avec de la calligraphie réalisée sur scène en direct, du Théâtre No Japonais, du chant lyrique, et j’occupais à tour de rôle les missions de chef de l’ensemble et de guitariste. Ce projet que j’ai fait au Pôle Sup’93 a été déterminant pour l’artiste que je suis aujourd’hui dans le sens où j’ai pu expérimenter pour la première fois la gestion d’un projet, la gestion d’une équipe tout en présentant un spectacle de créations avec de nombreux aspects transdisciplinaires. J’ai eu cette chance de pouvoir réaliser ce projet-là dans de belles conditions (le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers) et cela m’a conforté dans l’idée que c’était ce type de projet que je voulais faire.
Les ensembles dont vous nous avez parlé, ce sont des ensembles que vous avez créés ou qui existaient déjà ?
L’Ensemble SIL est un ensemble que j’ai créé. Il désigne cette terre ocre qu’on utilise pour la fabrication de poteries. L’idée était de travailler sur la notion de sculpture du son ; parce que c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Le son comme matière organique vivante sur laquelle on peut travailler.
Le Dodécabone et l’Orchestre Aquilon existent depuis quelques années déjà. Là, ce sont les musiciens qui m’ont invité à les rejoindre.
Quel est votre parcours depuis le Pôle Sup’93 jusqu’à aujourd’hui ?
Ma fascination pour l’orchestre existe depuis très longtemps. J’avais 6 ans quand j’ai vu pour la première fois un orchestre qui jouait la Symphonie N° 2 de Gustav Mahler. La musique était magnifique, et aussi l’énergie des musiciens, les couleurs des instruments… c’est une expérience multi sensorielle.
J’ai aussi une fascination pour mon instrument, la guitare, qui est très intimiste, quelquefois très solitaire... Dans mon parcours, j’ai toujours voulu conjuguer les deux pratiques. J’avais déjà suivi une initiation à la direction d’ensemble à Nancy, avant d’arriver au Pôle. Et au Pôle Sup’93, mon premier professeur de guitare, Jean-Marc Zvellenreuther, m’a orienté vers la classe de Nicolas Brochot. Parallèlement à mes études au Pôle Sup’93, j’étais donc en classe de direction d’orchestre au Conservatoire d’Evry. Quand j’ai fini le Pôle Sup’93, je suis rentré au PSPBB dans la classe de direction d’ensemble, puis j’ai également étudié au CNSMDP dans les classes d’Analyse musicale de Claude Ledoux et des Métiers de la culture musicale de Lucie Kayas. Je suis resté trois ans afin d'obtenir le DNSPM de direction et le Diplôme d’Etat au PSPBB. Ensuite, souhaitant découvrir une autre manière d’enseigner, j’ai terminé mes études l’année dernière par un master de direction d’orchestre au Conservatoire de Liège, dans la classe de Patrick Baton que j’ai obtenu avec grande distinction.
Qu’est-ce que le Pôle Sup’93 vous a apporté comme artiste ?
Le projet personnel que j’ai pu développer a été un moment vraiment très fort. J’ai aussi beaucoup apprécié les parcours création à l’IRCAM. J’avais joué une pièce de Jérôme Combier qui s’appelle Kogarashi. J’avais utilisé, pour l’occasion, deux guitares, l’une avec archet et l’autre avec un dispositif de modification du son en temps réel. C’était une expérience incroyable pour moi. Enfin, tous les cours d’environnement professionnel donné à la Cité de la musique étaient vraiment très intéressants.
J’ai également de très beaux souvenir de ma formation en musique de chambre, notamment le duo avec Delphine Lavigne, flûtiste. Nous avons partagé des beaux moments. C’était vraiment une belle rencontre.
Il y a d’autres choses que vous avez apprises ? Découvertes au Pôle Sup’93 ?
Ce que j’ai découvert, c’est une forme d’anticipation de ce que va être la vie de musicien. Gérer les échéances, naviguer entre la fac, les différents lieux des cours, la classe de direction à Evry, gérer son travail, son énergie … C’est un bel apprentissage de la vie professionnelle parce qu’après nous continuons de courir, ça ne se calme pas ! (sourires)
Quelles ont été les rencontres marquantes que vous avez pu faire au Pôle ?
Ma rencontre la plus importante c’est avec Elodie* (Elodie Lefebvre, clarinettiste, ancienne étudiante du Pôlesup’93). Aujourd’hui, c’est ma femme ! C’est la rencontre la plus essentielle. Sinon j’ai gardé quelques contacts, avec des musiciens supers : Sébastien Grégoire, Alice Fagard…
A la suite du projet personnel, nous avons continué à travailler avec le même groupe de musiciens sur d’autres projets, avec Adrien Alix, Dali Feng, etc. Nous avions mené un spectacle autour du Carnaval de Schumann, lié avec des textes d’Hoffmann, que nous étions allés jouer au FIMU à Belfort.
Vous êtes originaires des Vosges ?
Pas du tout. J’ai grandi à Nancy mais je n’étais allé qu’une seule fois à Saint-Dié-des-Vosges avant d’être recruté là-bas. Ils ont souhaité développer un très beau projet, avec un poste unique en son genre. C’est une charge importante et riche, avec de nombreux échanges et une équipe très motivée.
Si vous deviez raconter un seul souvenir du Pôle, lequel serait-ce ?
Artistiquement, le souvenir le plus fort, c’est le spectacle au Théâtre de La Commune.
Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur les projets que vous réalisez ? par exemple le concerto interactif ?
La création était prévue en avril 2020, et la crise sanitaire nous a empêché de le réaliser. Après un premier report en janvier 2021, ce projet sera enfin proposé au public le 2 juillet prochain. Nous avons la chance de travailler avec Pierre Fourcade qui tiendra la partie de violoncelle solo. C’est un artiste magnifique… Nous sommes actuellement dans les dernières préparations des aspects participatifs du public… En parallèle de l’écriture de l’œuvre, pendant deux mois, le public a été invité à participer : en effet, via une plateforme numérique, le public répondait à différentes questions. En fonction des réponses, le Concerto a évolué dans des directions auxquelles ne pensait pas du tout le compositeur ! Parmi les questions posées, il y en avait certaines faites par le compositeur, quelques une écrites par des musiciens de l’orchestre, d’autres écrites par des enfants des écoles avec lesquelles nous menions des projets pédagogiques, et enfin d’autres écrites par moi pour justement jeter quelques embuches au compositeur !
Maintenant, lors de l’interprétation du Concerto, nous proposerons des moments interactifs avec le public. L’œuvre aura une forme le 2 juillet, mais si on la redonne une autre fois, son déroulé ne sera plus le même. Il y a vraiment une incidence des choix du public dans le déroulé de l’’œuvre. En introduction du concert nous expliquons que, par moment, plusieurs choix vont être proposés au public. Cela peut être sur des techniques de jeu : con legno, pizzicato, etc., sur des éléments harmoniques comme des choix de modes : majeur ou mineur, ou sur la possibilité offerte au public de laisser tel ou tel artiste improviser un solo… Nous utilisons une interface informatique pour voir les votes en direct. Et quand les résultats sont là, nous n’avons plus qu’à nous jeter à l’eau ! C’est une expérience qui est relativement stressante pour les musiciens parce qu’ils ne savent pas exactement ce qu’ils vont devoir faire, ni à quel moment ils vont vraiment le savoir. Mais en même temps, c’est une expérience passionnante qui mobilise une attention et une concentration énorme chez les musiciens. Il n’y a pas la même mobilisation lorsque nous interprétons une œuvre du répertoire.
Cette création est donc particulièrement intéressante pour ces moments de cristallisation d’énergie, de tensions que nous allons vivre au concert : ce sont des moments un peu hors normes. C’est un projet qui mérite vraiment le détour.
Dans mes prochains projets, il y a notamment la création d’un Concerto pour orchestre et 12 trombones qu’on va réaliser au mois de novembre avec le Dodécabone. Imaginez ! 12 trombones et un orchestre. J’ai sollicité pour cette création François Rousselot : c’est un vrai défi d’équilibre… mais j’aime aller dans des projets hors norme comme celui-là !
Alors selon vous, pourquoi choisir le Pôle Sup’93 en 2021 quand on est étudiant musicien ?
C’est un établissement qui a de nombreux atouts. J’ai senti une forme de liberté qui m’a permis de réaliser les choses que j’avais envie de mener. La construction du parcours est vraiment intéressante : j’ai beaucoup apprécié les cours d’analyse de Jean-François Boukobza par exemple, ainsi que les séances d’initiation à l’improvisation, avec le rapport au son original proposé par Philippe Pannier; la qualité des enseignants de manière générale, l’effervescence qui existe quand on réunit des étudiants dans un moment crucial de leur vie. Pour résumer, le parcours proposé par le Pôle Sup’93 a des originalités, des caractéristiques que n’ont pas forcément les autres Pôles Sup’ et c’est pourquoi j’ai eu cette sensation de liberté. Ce sont des conditions intéressantes pour se révéler et donner le meilleur de soi-même. Aller dans des directions dans lesquelles on se sentait aller mais dans lesquelles on n’avait pas eu d’opportunité. Des contraintes, des difficultés il y en a eu, principalement dû à l’aspect multi-sites, on allait à La Courneuve, à l’ancien site d’Aubervilliers, au Métafort…
Ça fait quasiment 10 ans que j’ai été au Pôle et je crois que j’’aimerai bien y revenir ! La plus grande fierté pour un étudiant, c’est probablement pouvoir redonner l’énergie à l’établissement qui l’a formé.
Depuis la rentrée 2021, David Hurpeau est devenu directeur du CRD de Châteauroux et de Directeur musical de l’Ensemble Instrumental de Châteauroux.
Diplômé du Pôle Sup'93 - DNSPM en 2014
Musiques classiques à contemporaines, guitare