ENTRETIEN AVEC MAÏLYS MARONNE
Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !
Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.
Quelle musicienne êtes-vous devenue, comment vous présenteriez-vous ?
Je suis une musicienne et pédagogue un peu débordée ! J’ai des groupes dont je suis à l’initiative et la compositrice, d’autres projets pour lesquels je suis side woman. Je participe à plein de projets différents, surtout dans le jazz – dans une forme assez conceptuelle et formelle, auprès d’autres compositeurs - mais aussi de l’afro beat, de la musique écrite tirant sur le contemporain... C’est assez varié ! En ce moment, je suis en résidence avec un grand ensemble de 15 percussionnistes et un piano. Ils viennent majoritairement du classique, je suis la seule qui vient du jazz et de l’improvisation. J’aime bien quand ça fourmille de projets comme ça, même s’il n’y a pas autant de concerts que je voudrais. Il y a toujours les sessions studio, les séances de répétitions, de création et beaucoup de rencontres.
Quand vous dites qu’il n’y a pas assez de concerts, est-ce à cause des crises diverses ou bien est-ce plus consubstantiellement lié à votre activité ?
Beaucoup des musiques que je pratique ne sont pas vouées à être programmées très facilement ! Ou en tous cas, dès lors qu’on a trouvé les réseaux pour les diffuser et qu’on en a fait le tour, c’est difficile d’en trouver d’autres… et je n’ai pas encore beaucoup de visibilité. Je joue aussi dans des grands ensembles, ce qui n’est pas évident à vendre !
J’enseigne à Soissons, à la Cité de musique où j’ai un temps plein. Je n’ai donc plus beaucoup de temps pour démarcher, pour m’occuper du côté administratif des projets : trouver des dates, trouver des résidences, des subventions pour faire des disques, des évènements …
Vous faites attention à ce que la goutte d’eau ne fasse pas déborder le vase de Soissons ! Pouvez-vous nous détailler vos activités d’aujourd’hui ?
Mon activité d’enseignante à Soissons, c’en est un « gros morceau ». Je suis rentrée il y a quatre ans, dès que j’ai eu le DE et j’y suis coordinatrice du Pôle Musiques actuelles et Jazz. J’ai un temps complet avec beaucoup de projets à mener, des projets croisés avec mes collègues du classique. Nous sommes une toute petite équipe de trois professeurs en musiques actuelles et jazz. C’est une nouvelle classe que nous avons mise en place à mon arrivée : le projet avait deux-trois ans mais il n’était pas encore vraiment ficelé. J’espère qu’il y aura davantage d’enseignants dans ce cursus les prochaines années, car c’est une classe destinée à grandir, à évoluer… Pour le moment ça demande une énergie énormissime : chercher des élèves, faire en sorte que cela reste vivant, attirer les gens, donner de la visibilité, etc. C’est un gros travail et un beau challenge ! Avoir ce poste en sortant du Pôle, je n’en revenais pas ! Tout juste diplômée et inexpérimentée… Mais aujourd’hui j’aimerais avoir moins d’heures pour pouvoir développer mon activité artistique. Et il y a le problème de la distance car j’habite toujours en région parisienne. Enseigner, c’est riche et constructif, mais un peu chronophage quand on a soif d’activité artistique !
Parlez-nous de vos projets artistiques ?
Je sors tout fraichement de studio avec mon projet qui s’appelle Phonem. Il y a deux ans, on avait fait une collaboration avec le Pôle Sup’93. Aujourd’hui, j’ai un peu changé l’équipe et j’ai écrit tout un nouveau répertoire. On l’a enregistré la semaine dernière et on a déjà eu quelques concerts assez chouettes. J’attends le disque pour trouver d’autres dates.
Sinon, je pars dans 10 jours à la Réunion, en tournée avec Magic Malik Fanfare XP. Au retour, il y aura la sortie d’album de Magic Malik Ka- Frobeat et le tout premier concert de Base XP Requiem, le nouveau quartet de ce même Malik avec Sarah Murcia et Maxime Zampieri.
Racontez-nous cette rencontre et cette collaboration avec Magic Malik
On s’est rencontré au Pôle, puisqu’il était professeur. Pendant ma 3e année de DNSPM, la fanfare XP s’est montée. J’y suis allée au début car j’étais curieuse et, de fil en aiguille, je suis rentrée dans le projet. Cela fait plus de 5 ans et nous avons enregistré le 3e disque en janvier. C’est donc un groupe qui a déjà une histoire. Nous sommes restés en contact tout le temps avec Malik à l’issue du Pôle Sup. J’ai d’autres projets avec lui, c’est une personne qui a une grande importance dans mon activité artistique.
Avez-vous encore d’autres projets ?
Nous avons monté un duo avec le vibraphoniste Gaspar José. Nous avons commandé des pièces à 7 compositeurs et compositrices. La première résidence a eu lieu en janvier mais on n’avait pas encore beaucoup de morceaux. Quand les compositeurs.trice auront avancé dans l’écriture, on cherchera une nouvelle résidence pour travailler. J’ai eu la chance de croiser le label Onze Heures Onze fondé par trois musiciens (dont deux de la fanfare XP) : Alexandre Herer, Olivier Laisney et Julien Pontvianne. J’ai rencontré beaucoup de gens grâce à ce label, des musiciens qui pratiquent le même genre de musique. Le label a été monté il y a 15 ans et, au fur et à mesure, ces derniers ont commencé à sortir les disques de projets artistiques personnels des musiciens de la fanfare XP et soutenir un certain nombre d’autres projets. C’est une grande famille ! Pour moi c’est un soutien très précieux : moral, artistique, financier et administratif.
Qu’est-ce qui vous a plus marqué au Pôle Sup’93 ?
La rencontre avec Magic Malik bien sûr. Et aussi la rencontre avec Vincent Segal (j’avais déjà ma licence, je n’ai donc pas suivi le volet fac). Rencontrer ces extraordinaires musiciens, c’était vraiment formidable. Tout ce qu’ils nous ont apporté… c’était très fort ! Ils sont dans la transmission du métier de musicien et de leur culture musicale qui est phénoménale. Avant, j’avais eu un apprentissage beaucoup plus scolaire, plus global aussi, moins « de pointe ». C’était super de trouver cette spécificité-là.
Vous avez gardé des liens avec vos camarades de promo ?
Pas du tout ! Déjà, pendant les années Pole Sup’ on n’était pas très connectés. On n’a pas fait grand-chose en commun… C’était la première année, il fallait que le cursus se mette en place. Certaines choses ne fonctionnaient pas très bien. En fait je vois bien davantage les étudiants des années suivantes. Le Pôle m’a apporté trois années intensives de travail de l’instrument, c’est beaucoup ! Mais j’ai l’impression d’avoir travaillé toute seule dans mon coin.
Je ne garde pas un super souvenir de ma première année de DE. Je me sentais souvent un peu à côté car les cours sont très orientés « musique classique ». Souvent je me demandais ce que j’allais faire de tous ces apprentissages dans ma pratique de musiques actuelles et de jazz ! J’ai même parfois un peu décroché : les cours de didactique, les méthodes actives, par exemple. J’avais besoin de terrain, je ne crois pas très fort en la pédagogie « théorique » !
En revanche la 2e année, c’était mieux, très intensif. Le travail sur le terrain, les stages, c’était très enrichissant.
Votre mémoire de 2e année de DE était très intéressant. C’est toujours agréable quand les étudiants, comme vous, sont impliqués dans leur travail.
Mon mémoire portait sur le travail du rythme au piano et la musique de Malcolm Braff. J’ai fait ce travail avec beaucoup de plaisir, d’autant qu’il m’a permis de rencontrer ce musicien de façon régulière et de me pencher de plus près sur ses propres recherches.
Votre mémoire à peine fini, vous êtes devenue personne ressource pour un de nos étudiants, Oscar Emch : racontez-nous.
Oscar Emch a été mon collègue à Soissons pendant les deux premières années. Nous travaillons aussi ensemble sur un des projets de Magic Malik, il existe une proximité artistique et pédagogique entre nous. Et on se connaît de longue date ! Le sujet de son mémoire portait sur le travail de la gamme de Do Majeur à la guitare électrique et tout ce qui existe déjà comme possibilités avec seulement cette gamme. C’est un sujet sur lequel j’avais déjà réfléchi notamment pour les cours de formation musicale spécialisée que je donne à Soissons et c’est pourquoi on en a parlé !
Avez-vous un souvenir marquant du Pôle Sup’ ?
J’ai un souvenir précis du projet autour de l’expo David Bowie à la Cité de la musique. On avait joué à cette occasion et c’était très chouette. Il y a aussi les projets personnels… le « final » des trois années de DNSPM a été un moment marquant, pour moi c’était d’ailleurs la naissance de Phonem, première fois que je présentais un premier volet de compositions à des oreilles expertes. Mais ce qui a compté le plus pour moi, c’est la rencontre avec de grands musiciens.
Que diriez-vous à quelqu’un qui s’intéresserait au Pôle pour poursuivre ses études ?
Une très bonne raison de venir au Pôle, c’est qu’on y brasse les esthétiques : on n’a pas à choisir entre le jazz, les musiques actuelles, les musiques improvisées. J’ai vraiment apprécié que d’un atelier à l’autre on change de monde, on change d’univers, ça donne aux étudiants une palette très large.
Il y a aussi un bel accompagnement individuel, les professeurs prennent le temps de cerner les musiciens qu’ils ont en face d’eux. Ils s’adaptent aux étudiants et les aident à développer leurs projets personnels en les mettant en valeur. Il n’y a pas de formatage comme dans certains établissements, pas de hiérarchisation des esthétiques. Au Pôle c’est à la fois très humain et bien en phase avec la réalité du métier qui ne se réduit pas à savoir jouer les standards à 200 à la noire comme on voudrait nous le faire croire dans certains établissements …
Malheureusement, quand on a fini ses études, on se retrouve de nouveau avec ces compartimentations : est-ce qu’on est musiques actuelles ? Est-ce qu’on est jazz ? C’est dommage que ça n’évolue pas plus dans les conservatoires. Et du côté artistique, on aime bien définir les groupes avec des grandes étiquettes stylistiques, mais ça n’a pas toujours de sens.
À Soissons, c’est une classe ouverte ?
Au départ c’était une classe de musiques actuelles et maintenant c’est une classe de musiques actuelles et jazz. Mais du côté du Ministère, ce n’est pas valide ! J’ai été recrutée parce que j’avais la double casquette justement, ce qui est une ouverture vers des horizons intéressants. Hélas, globalement, on nous demande de nous positionner sur une esthétique. En ce moment je passe les concours de la Fonction publique et je n’ai pu m’inscrire qu’en musiques actuelles. Je ne peux pas passer les deux concours. Aujourd’hui, je trouve que les musiques actuelles peuvent plus facilement englober le jazz que le contraire. La frontière est souvent tellement mince !
Avez-vous quelque chose à rajouter ?
Pour tous ceux qui se renseignent et qui veulent rentrer au Pôle, ne venez pas que pour le diplôme. Venez pour avoir une formation, pour vous investir et rendre les projets vivants ! Et puis à ce niveau d’étude, mieux vaut être passionné et extrêmement curieux !
Diplômé du Pôle Sup'93
DNSPM en 2017
DE en 2017
Jazz et musiques improvisées, musiques traditionnelles et musique du monde, chanson, musiques amplifiées.
Piano.