ENTRETIEN AVEC CLAIRE LEBRUN
Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !
Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.
Quel plaisir de vous retrouver ! Nous avons des questions pour vous, et notamment cette question : quelle musicienne êtes-vous devenue ?
Aujourd’hui, je dirais que je suis une musicienne très tournée vers la transmission, que ce soit à travers le spectacle vivant, notamment en lien avec les JMFrance (Jeunesses musicales de France) qui produisent mon ensemble jusqu’à fin 2022, ou l’enseignement, puisque je suis devenue professeur au CRR de Versailles Grand Parc il y a 3 ans.
J’ai aussi à cœur de mener des projets de résidence pour un public plus large, comme des scolaires, des projets plus sociaux, intergénérationnels… J’essaie de transmettre un plaisir de la musique à travers la médiation, l’enseignement spécialisé et les concerts.
Est-ce que vous pouvez nous détailler toutes vos activités aujourd’hui ?
Cette année, j’ai un projet principal de duo qui s’appelle Tourne Sol.
Nous sommes deux musiciennes : contrebasse, accordéon et voix. Au départ c’était le projet était plutôt issu de nos études classiques, mais ça se dirige maintenant plutôt vers le tango et les musiques improvisées. On y défend nos propres créations. J’ai par ailleurs plusieurs projets de spectacle vivant en développement avec la scénographe Hortense Gesquière et je me suis lancée dans la musique traditionnelle irlandaise récemment !
Concernant les études, j’ai poursuivi au CNSMDP en formation au CA. Si je regarde mes 10 années d’études musicales post-bac, c’est la classe de contrebasse au Pôle Sup’93 qui a eu le plus d’impact sur ma personnalité d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous plus marqué au Pôle Sup’93 ?
J’ai rencontré Jean-Christophe Deleforge, le professeur de contrebasse du Pôle, après avoir échangé sur son approche pédagogique avec Florentin Ginot qui était un ancien étudiant. Jean-Christophe a une vision vraiment plurielle de l’instrument – ce qui est rare et riche.
De par sa conception d’accompagnement du projet de chaque étudiant et la formation telle qu’elle est pensée au Pôle, il me semble qu’il s’agit d’un lieu d’études unique par rapport aux autres écoles supérieures d’enseignement artistique en musique.
Quand j’ai vu qu’il y avait le DNSPM et le DE et des projets pluridisciplinaires, ça m’a donné très envie. Ayant déjà obtenu ma licence de musicologie par correspondance, j’ai pu avoir un emploi du temps allégé, et j’ai adoré tout ce que j’ai pu y faire.
Il y a donc, dans mon identité artistique, tout ce que m’a apporté Jean-Christophe et tout ce que j’ai pu faire au Pôle. Ça m’a nourrie et m’a ouvert des perspectives. C’est vraiment le point principal que je retiens de cette formation : on peut y développer son identité artistique. La diversité des expériences proposées par le Pôle permet vraiment de toucher à différents domaines et de nous confronter à des choses qu’on aime – ou pas ! - dans notre vie professionnelle.
Revenons à vos projets ; pourriez-vous nous en parler ?
Je travaille actuellement sur un projet pluridisciplinaire avec la scénographe et artiste plasticienne Hortense Gesquière et qui est en cours de création. Le spectacle s’appelle sLe retour des fleurs et nous avons la chance d’être soutenues par la Fondation Sylff de Tokyo et l’OMC de Maisons-Alfort. C’est un travail de création sur ce conte australien, et la mise en place d’ateliers de médiation en direction de différents publics. On travaille avec les écoles, les lieux d’accueil, afin que ces publics puissent monter sur scène, et s’exprimer.
Vous étiez créatrice et responsable d'un label musical ?
Je le suis toujours ! J'ai créé une maison d'édition et un label en 2013. À la base c'était pour démocratiser l'accès à la musique grâce à des prix abordables. Cela devait permettre aux jeunes talents de produire leur premier disque et d’être distribués dans des magasins de musique, d'avoir un premier réseau de diffusion.
On a sorti plus d'une trentaine de disques et plus d'une cinquantaine de partitions qui sont distribuées dans les magasins de musique. Ça me permet aussi de faire des projets pédagogiques qui me tiennent à cœur. J'ai fait des disques qui s'appellent Les tables de multiplication en musique, Les proverbes en musique... J'ai aussi édité une méthode qui s'appelle Improvisons qui sort en ce moment, avec Hortense Gesquière (la même personne avec qui je travaille sur Le retour des fleurs). C’est un recueil de textes et partitions graphiques pour permettre aux enfants de s'initier aux codes de l'improvisation libre afin d’avoir un autre rapport à son instrument, moins « scolaire », plus ouvert et ce, dès la première année d'apprentissage. C'est vraiment dans la continuité de mes études au Pôle. L’instrument comme un outil pour parvenir à des fins artistiques et pas comme une finalité. J’ai également travaillé dans ce sens quand j'étais au CNSMDP, j’ai pu faire un projet en Colombie où j'ai travaillé sur des partitions graphiques.
Avant d’entrer au Pôle, j'étais dans une vision de la contrebasse et de la musique qui était très "scolaire". Cette formation dans un environnement beaucoup plus libre a ouvert la porte de mon imaginaire et m’a permis de faire des projets moins conventionnels.
Quels sont vos souvenirs marquants du Pôle ?
Les projets Gesicht, avec la classe de contrebasse, la classe d'art dramatique et la classe de MAO. Ça été un déclic ! Et le partenariat avec l'IRCAM. Ce sont des choses qui m'ont énormément marquée. Les cours de technique Alexandee qui m’ont montré un autre rapport au corps vis à vis de l'instrument, ça été une révélation !
Gesicht a été le premier projet qui m'a ouvert à de nouveaux horizons. Il s’agissait d’un premier projet de création partagée sous forme d’une résidence avec des étudiants artistes d’autres disciplines. D'ailleurs j'ai fait mon mémoire de CA là-dessus, sur les résidences d'artiste et les projets pluridisciplinaires dans les études supérieures en musique.
En parallèle de mon cursus en DE, j'ai été recrutée pour travailler sur le projet « Auber vacances loisirs » qui était un projet d’orchestre proche du fonctionnement du projet DEMOS, mais qui se déroulait au CRR93. Je suis restée un an et j’ai découvert la médiation et le travail avec des publics « éloignés » de l'enseignement artistique.
Je n’ai pas fait « l'apéro cirque » mais de ce que j’ai vu de mes camarades et ex-camarades, ce sont des projets dans lesquels on est créateurs. On est considérés comme artistes et pas seulement comme interprètes, et ça, c'est rare. De ce que j’ai pu observer pour mon mémoire de CA, je peux dire que ça n'arrive pas si souvent en musique. J'ai l'impression que le Pôle Sup’93'est un des endroits clefs où il est possible d'expérimenter ça et de se dire qu'on est capable d’obtenir sa légitimité à créer. C'est énorme, vraiment.
Enfin une dernière chose : le Studio Muzikfabrik en Allemagne... travailler avec des étudiants musiciens de plusieurs pays, se produire dans des festivals de musique contemporaine... c’était une super expérience !
C'est vrai que c'est une ligne directrice de l'établissement de considérer qu'un musicien, ce n'est pas qu'un interprète.
Si vous deviez raconter un seul souvenir marquant du Pôle, lequel serait-il ?
Il y en a plusieurs (rires). Je dirais le projet Gesicht en premier parce que c'était très fort en termes de ressenti et de liberté sur scène, ça m'a fait beaucoup beaucoup de bien.... Comme celui avec l'IRCAM. Ces deux projets ont été fondateurs de mon identité d'aujourd'hui. À l'IRCAM j'ai joué Vola de Jodlowsski. C'était super de se produire au Festival ManiFeste, de rencontrer plein d'autres musiciens, ingénieurs du sons...
J’ai aussi des souvenirs forts concernant mon DE. Monter un projet pédagogique m'a beaucoup marqué, les stages m'ont énormément apporté, le tutorat, le stage d'observation... ce sont des événements fondateurs dans ma manière d'enseigner.
J’ai fait mon stage d’observation au conservatoire de Fontenay-sous-Bois et le stage de tutorat à Orsay. Le mémoire m'a donné confiance dans la recherche, et dans la réflexion que ça m'apportait.
Pourquoi choisir le Pôle Sup’93 si vous deviez conseiller un candidat hésitant ?
Pour développer son identité d'artiste, pour expérimenter les différentes facettes du métier de musicien/enseignant, pour allier la progression technique et instrumentale et asseoir une légitimité artistique avant d'entrer dans la vie professionnelle. C'est l'idée de concevoir son identité professionnelle
J'ai vraiment la sensation que tout s'assemblait bien. C’était riche et cohérent. J'étais vraiment très heureuse d'être prise au Pôle car la dynamique de la classe de contrebasse correspondait tout à fait à mon projet professionnel … Tout était en cohérence avec mes valeurs ou mes envies. J'ai trouvé ce que j'étais venu chercher... et même plus ! Il n'y avait pas d'esprit de compétition entre les étudiants, le climat était serein … on y est contents de voir que les projets des uns et des autres réussissent et ça, c’est une chance ! Dans ma promo de DE, il y a beaucoup d'étudiants qui ont des beaux postes d'enseignement et qui sont très épanouis.
Bravo pour votre CA. !
Merci ! Le Pôle Sup’93 m'a vraiment permis de me sentir heureuse dans ce métier-là grâce à ce projet pédagogique vraiment particulier.
Diplômée du Pôle Sup'93 - DNSPM en 2018, DE en 2017
Musiques classiques à contemporaines, contrebasse