ENTRETIEN AVEC ARAMIS MONROY
Au printemps 2021, pendant le confinement, nous avons initié les rencontres en visio avec les « ancien∙nes du Pôle Sup’93 », nos diplômé∙es !
Le moment nous a semblé idéal pour prendre le temps d’échanger sur leurs parcours depuis leurs « années Pôle » et partager ce que chacun∙es avaient retenu de leur expérience au Pôle Sup’93.
Merci beaucoup pour votre disponibilité ! Nous allons revenir sur votre parcours au Pôle et depuis le Pôle. On va commencer par des questions assez larges pour d’être le plus simple et le plus efficace possible. Puis nous reviendrons sur les détails après. Donc la première question c’est : quel musicien êtes-vous devenu ?
(rires) ah oui c’est quand même très, très large !
Quel musicien je suis devenu aujourd’hui ? Depuis le Pôle Sup’93, depuis ma sortie ? Je ne sais pas… Ce que je peux dire c’est que je fais beaucoup de choses qui sont intimement liées à la musique mais pas que, qui sont liées à l’artistique plus globalement… dans plusieurs domaines. Et puis je continue mes études puisque je suis rentré au CNSMDP.
J’ai eu mon DNSPM au Pôle en janvier 2018, j’ai passé le concours pour entrer en master juste après, master que j’ai eu l’année dernière et je suis en formation au CA cette année.
Je fais vraiment énormément de choses différentes, beaucoup de classique, beaucoup d’orchestre, beaucoup de musique de chambre et beaucoup de musiques actuelles aussi finalement !
Je suis multi-instrumentiste donc j’ai plein de projets annexes : je fais du théâtre, je fais de la composition à l’image depuis quelque temps, je fais des productions pour les gens, je fais de la direction artistique… je suis un peu partout, je ne dors pas énormément mais c’est chouette.
Le musicien que je suis devenu est le même que quand j’étais au Pôle, mais en un petit peu plus évolué !
Donc vous êtes devenu un musicien multifacettes, insomniaque ? (rires)
Je dors très bien (rires)
Rappelez-nous Aramis, qui était votre professeur ?
J’étais chez Ann-Estelle Médouze. J’ai vraiment une relation amicale avec Ann-Estelle, je la revois régulièrement, c’est vraiment quelqu’un qui m’a fait du bien sur le plan violonistique et sur le plan humain.
Pouvez-vous nous raconter en détail tous ces projets que vous faites aujourd’hui ?
En violon, en classique, j’ai fait quelques concours d’orchestre cette année, je me suis un peu testé pour voir ce que ça allait faire, même si je n’ai pas forcément envie d’entrer tout de suite dans un orchestre. Mais au moins, ça m’a permis de travailler ma technique en cette année compliquée . Je suis supplémentaire dans plusieurs orchestres nationaux : l'Orchestre de Paris, l’ONDIF (note : Ann-Estelle Médouze est violon supersoliste de l’ONDIF), Les Siècles, l’OLC (Orchestre des lauréats du conservatoire de Paris) parce que je suis passé dans la maison et enfin je suis supplémentaire violon solo à l’Orchestre national de Bretagne.
Je fais pas mal d’orchestres étudiants, pas très payés mais sympas et très enrichissants. Je joue beaucoup – mais cette année c’étaient surtout les orchestres subventionnés. Je joue avec l’Orchestre des jeunes d’Île-de-France et avec l’Orchestre de Lutetia - depuis une dizaine d’années déjà, avec qui j’ai l’occasion de jouer en soliste.
En musique de chambre, je suis dans des projets à droite à gauche, mais je n’ai pas de vrais groupes. Avoir un quatuor ça prend énormément de temps et mon temps je le divise de plein de manières.
Au violon, je suis aussi dans une compagnie de théâtre qui s’appelle « Le Grenier de Babouchka » et j’y suis depuis mon entrée au Pôle Sup’93 (2014). Il y a deux pièces qui tournent, 500 représentations par pièce et ça continue de tourner.
Je vais intégrer aussi une autre compagnie de théâtre, « Les Moutons Noirs » en alternance avec un autre violoniste
Dans ces compagnies de théâtre, vous êtes uniquement musicien ou musicien et comédien ?
Musicien plutôt. À la base, je suis rentré dans « Le Grenier de Babouchka » qui est une compagnie spécialisée dans les classiques français (Molière, Racine, Corneille…). Je suis entré pour un Cyrano de Bergerac qui venait d’être monté et le metteur en scène, Jean-Philippe Daguerre - ancien musicien, ancien rockeur très attaché à la musique et à la scène alternative des années 80 - veut toujours mettre de la musique et notamment des musiciens « live ».
Quand il a monté Cyrano, il a dit « j’ai une super idée, on va mettre un violon sur la scène, mais pas avec son pupitre dans un coin. Il va personnifier l’âme de Cyrano ». Donc je suis habillé comme Cyrano, je le suis, je le retranscris, c’est une espèce d’improvisation dirigée (il y a des choses assez écrites et en même temps des choses très libres) et il faut coller au personnage, ce qu’il raconte, ce qu’il vit… Comme c’est dans un esprit « théâtre de tréteaux », il n’y a rien, il n’y a pas de décors je suis un décor musical. Je permets aux gens, un peu comme la musique au cinéma, de faire fonctionner l’imagination autrement. Je n’ai pas un vrai rôle de comédien mais je suis en mouvements tout le temps, j’ai des entrées, j’ai des sorties… Dans la prochaine pièce Titanic, de la compagnie " Les Moutons noirs ", j’aurais de petits rôles ; mais ça reste un apprentissage "sur le tas" de la comédie.
Grâce à tous ces contacts que j’ai dans le théâtre je me suis mis à faire de la musique pour le théâtre et aussi pour des courts-métrages. Je fais de la production musicale pour certains artistes, de la direction artistique pour des albums… Récemment, j’ai fait ça pour le chanteur Faust qui prépare un nouveau projet et Cathy Cardie une femme qui fait de la chanson française féministe engagée. Je suis aussi batteur dans un trio dele Rock'n Rockabilly le « Ptit Rockeur Trio » , et aussi pour « La Famiglia Rubinetti » un groupe très western, cumbia, balkan, un truc qui part dans tous les sens.
Je fais des « prods » pour des amis : ils ont un projet,ont écrit trois textes dans un bar à je ne sais quelle heure… je fais la composition, la production, le mixage…
Ça m’a toujours intéressé de faire beaucoup de choses. Ça m’amuse de faire de l’orchestre pendant 15 jours, mais après j'ai envie de faire du rock ! J’aime quand ce sont d’autres ambiances, quand on ne voit pas les mêmes gens, on ne vit pas les mêmes moments ni les mêmes émotions. C’est ça que je trouve le plus intéressant, surtout dans nos métiers.
Le truc, c’est que c’est comme ça avec les études. J’aime beaucoup en faire, la preuve, je continue, mais je pioche partout. Cela ne m’a plutôt pas mal réussi. Il y a toujours des gens qui m’ont dit que je m’éparpillais dans tous les sens, que j’en faisais beaucoup trop, que je n’arriverai pas forcément à faire ce que je veux mais pour le moment ça fonctionne.
Qu’est ce vous a apporté le Pôle Sup'93 ?
Ça été assez compliqué. Du moment où je suis rentré (2013-2014), sur les 3 ans et demi que j’ai fait, il y a eu un double changement de direction : Marc Olivier Dupin, Valérie Guéroult/Céline Périn et enfin Jean-Claire Vançon. La connexion université / Pôle / étudiants n’était pas évidente.
Ce que ça m’a apporté, c’est la rencontre avec Ann-Estelle. C’est assez fou !
Quand je me suis présenté au Pôle, j’avais 23 ans et dans le circuit « classique », ça y est on est vieux. La limite d’âge pour le CNSMDP c’est 21 pour le violon, à Lyon ça doit être 22, 23 ans… Ça faisait déjà deux ans que j’étais sorti du CRR de Paris où mon prof me disait que je n’avais rien à faire dans ce milieu, que c’était trop compliqué… C’était une période où j’avais passé tous les concours, tous les établissements supérieurs, Paris, Lyon, Strasbourg… J’arrive au Pôle Sup’93, je ne rentre même pas puisqu’on était 7, seulement 6 ont été acceptés et que je me retrouve sur liste d’attente. J’étais en train de me dire, « le classique, je vais arrêter ; je le ferai dans des petits ensembles, ça va m’aller très bien comme objectif de vie ». Et finalement j’arrive tant bien que mal au Pôle, je rencontre Ann-Estelle et là, on me prend en considération, en études supérieures… Cette rencontre avec Ann-Estelle, ç’a été une remise à zéro ! La première chose qui m’a fait du bien en rentrant au Pôle, c’est de voir que tous les autres étudiants ont mon âge. Pourquoiy aurai- il y aurait une limite d’âge à cet enseignement supérieur ? On a le niveau, on n’a pas le niveau, c’est ça qui doit compter.
La rencontre avec Ann-Estelle m’a fait changer de regard sur le violon. Et a fait changer le regard que je portais sur moi aussi.
Le Pôle vous a aussi permis de rentrer en master au CNSMDP ! ce n’est pas rien !
Non, ce n’est pas rien… En vrai, au fond de moi je suis un peu revanchard. À force de m’entendre dire que je n’ai pas le niveau pour faire les choses, j’essaie du coup de les faire.
Je pensais arrêter les études à la fin de mon cursus. Puis j’ai fait ce récital en 2018, 6 mois plus tard que prévu parce que je m’étais fait une tendinite. J’avais envie de me faire plaisir : je me motive pour monter un orchestre, organiser les répétitions et jouer un concerto très difficile ». Je demande à Alexandre Grandé (directeur du CRR93) de diriger et je joue à l’Auditorium d’Aubervilliers. Je fais ce truc énorme et ça me fait vraiment du bien. Je joue le concerto de Sibelius, une sonatine de Martinon pour violon seul et deux des 4 saisons de Piazzolla, version orchestre à corde et violon solo où j’ai pris la direction et le solo. Bref j’ai envie de finir de façon assez grandiose et de faire la grande fête avec les copains.
Je sors de là – ce n’était pas magnifiquement bien, il y a des endroits un peu cracra et c’est comme ça – et tout le monde s’attendait à ce que j’aie une super note… et je me retrouve avec un 14,5 !Le directeur du Pôle Sup’93, m’explique que c’est une très bonne note et que n’obtiennent une note supérieure que les étudiants qui, s’ils jouaient à un concours d’entrée en master au CNSMDP comme ils ont joué lors de leur récital de DNSPM, avaient de fortes chances de réussir. J’ai été déçu par ce résultat : non pas que je me trouve génial, mais j’ai réuni un orchestre de 30 personnes, j’ai tout organisé de A à Z… j’ai été déçu qu’on m’évalue par rapport aux critères d’autres établissements.
Une fois de plus je m’apprêtais à m’arrêter quand Ann-Estelle me dit, « mais attends, tu ne voulais pas tenter de rentrer au CNSMD de Lyon et bosser avec Jean-Marc Phillips ? ça tombe bien il est à Paris maintenant. Ça vaut le coup de le tenter.
Et je l’ai fait, j’y suis allé mais j’étais trop vieux. Même pour le master, j’ai dû faire une demande de dérogation (une dérogation de vieillesse !). Tout le monde m’a dit que ça ne passerait pas… le truc est passé, j’ai travaillé et je suis rentré !
Donc si je résume : je suis rentré au CNSMDP juste parce qu’on m’a dit, voilà tu as ton 14,5, c’est excellent, mais tu ne peux pas avoir plus parce que tu ne rentrrais actuellement pas au CNSMD. Donc on peut dire que c’est grâce au Pôle que je suis rentré au CNSMD !
Je me suis bien amusé aussi, avec les options. J’ai suivi celle de musiques improvisées avec Vincent Segal et Magic Malik, on faisait de la musique « trad », « actuelle » tout ça… j’ai suivi tous les trimestres, j’ai même fait plus, j’y allais même quand j’avais fini. C’était très cool et ça se rapprochait de choses que j’avais envie de faire qui n’étaient pas du classique
Et qu’est-ce qui vous a le plus marqué au Pôle, qu’est-ce que vous y avez découvert, approfondi ?
Ça passe encore une fois par le violon : c’est le contact avec Ann-Estelle mais c’est aussi le contact avec tout ceux de ma promotion. Et aussi tous les autres étudiants que j’ai croisés. Anne Gallo-Selva, Florian Bellon (qui j’espère va rentrer en formation au CA pour venir avec moi!), Benjamin Ortiz, tous ces contacts qui ont créé une émulation et m’ont permis d’énormément progresser.
Mêmes choses avec Vincent Segal, avec Malik Mezzadri ( chargés d’enseignement du DNSPM « Jazz et musiques improvisées ») mais surtout avec Vincent… Tout ce temps passé avec eux dans le bâtiment ou avec les copains, ça été important.
Ceci dit j’ai de très bons souvenirs de cours aussi… Généralement je ne suis pas très bon… la notation ça m’énerve de base. Être noté sur quelque chose, avoir une mauvaise note, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas compris… Je n’écris pas bien.
J’ai deux exemples absolument magnifiques. Le premier c’est le cours d’analyse avec Bertrand Peigné. J’étais mauvais en analyse mais c’est quelque chose que j’aimais bien et j’aime beaucoup cette personne, sa façon d'enseigner …je passais de très bons moments en cours et pourtant j’ai redoublé un semestre parce que j’ai eu 9 au lieu de 10. J’en garde beaucoup de bons souvenirs et j’y ai appris beaucoup de choses qui me servent aujourd’hui. Le deuxième, c’est les cours à la fac de Mathilde Darmon : 3 ans de méthodologie et ça ne s’est jamais bien passé, j’ai toujours eu de mauvaises notes mais j’aimais beaucoup ses cours, j’y allais, elle me disait que je ne faisais rien mais c’est faux, je trouvais ça super bien et j’ai gardé pas mal de trucs. Je me souviens du dernier semestre, ça devait être « musique et politique » et j’ai du faire un mini mémoire sur « la transgression implicite du régime Stalinien à travers la musique de Chostakovitch » Je n’ai pas eu une bonne note, mais elle m’a quand même mis la moyenne pour que je puisse valider mon semestre. J’étais un peu dégouté parce que j’y avais passé énormément de temps… Ceci dit je l’ai relu il n’y a pas longtemps et c’est vrai que c’était assez lamentable parce que je n'étais pas très bonà l'écrit mais j’en ai retenu beaucoup de choses sur Chostakovitch…
Quel est votre meilleur souvenir, ou le souvenir le plus marquant si vous aviez à en choisir un ?
Deux choses me viennent en tête. D’abord mon récital de fin d’études. Tout simplement parce que j’ai mis énormément d’énergie à le préparer, qu’Ann-Estelle me regardait avec des grands yeux en me disant « mais qu’est-ce que tu es en train de faire, tu es un grand malade !... mais je vais essayer de t’aider comme je peux » Et enfin se retrouver avec tous les copains qui m’accompagnent, qui viennent écouter, mon premier prof de violon Serge Dutrieux a qui je dois énormément, mon groupe de cumbia (en retard) habillé en cowboy&indien, pancartes de soutien à la main, la famille, mes grands-parents … Terminer de jouer avec mon coussin qui tombe lamentablement par terre, moi en larmes, Ann-Estelle qui vient me faire un câlin à la fin… Ce moment a été incroyablement fort émotionnellement.
L’autre c’est une session d’orchestre où on jouait la 5e de Beethoven dans l’amphithéâtre X de Paris 8. C’était ma dernière année (2017-2018) et ma dernière session avec mon pote Flo. On a monté ce programme, on était venus en costard à Saint-Denis et il n’y avait personne dans l’amphi ! C’était émouvant et un peu triste en même temps…
Enfin que diriez-vous à un futur candidat pour qu’il choisisse le Pôle Sup’93 ?
Je leur dirai de ne pas choisir de Pôle en particulier mais de choisir un(e) prof. Je leur dirai de réfléchir vraiment avec qui on veut étudier. Le nombre d’histoires que j’ai entendu avec des gens qui se retrouvent avec des profs avec qui ils ne s’entendent pas et qui ne leur apportent rien.... Je ne vois pas l’intérêt (à part le diplôme bien sûr !). Je leur dirai de véritablement s’orienter vers une personne, c’est ça qui est le plus important. Moi j’ai été très chanceux d’être entré chez Ann-Estelle.
Aujourd’hui je trouve aberrant toute cette hiérarchie des CNSMD, des Pôles, etc. c’est pour ça que je conseillerai vraiment d’aller voir les profs. Si tu trouves la bonne personne, il faut faire son cursus là-bas. Mes diplômes ne m’ont pas apporté du travail. Je trouve qu’on met trop l’accent sur ces choses-là : Il faut faire le CNSMD et si on n’y arrive pas, c’est foutu. Il y a énormément d’alternatives. ! C’est faire les bonnes rencontres qui est important. Et pour moi, faire le Pôle Sup’93 avec Ann-Estelle, ça été la bonne rencontre. C’était La rencontre que j’attendais.. Je reparle de mon ami Benjamin Ortiz, qui n’a pas eu son diplôme mais qui était avec José Alvarez, qui a tenté deux concours d’orchestre, les a eus tous les deux et est rentré à l’Opéra de Paris ! Pour lui aussi c’était la bonne rencontre. De là à dire que les pôles sont des clubs de rencontre…
Diplômé du Pôle Sup'93 - DNSPM en 2018
Musiques classiques à contemporaines, violon